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GENRE, RACE, CLASSE & ENVIRONNEMENT

Sous la direction de

Emilie Souyri, MCF (LIRCES UPR 3159) & Nora Galland, MCF (CTELA 6307)

Le séminaire GRACE se propose d’interroger les enjeux de justice environnementale au prisme des sciences humaines et sociales ainsi que du droit en croisant les problématiques liées au genre, à la “race” et à la classe. La crise environnementale est une crise éthique qui pose la question de la responsabilité face à l’injustice et aux inégalités structurelles. Dans son ouvrage Racial Climates, Ecological Indifference : An Ecointersectional Analysis (2023), la philosophe Nancy Tuana explique que l’indifférence est sans doute un des points communs les plus importants pour comprendre la pertinence de l’articulation de la crise environnementale avec le racisme, le sexisme et la lutte des classes.

 

Notre séminaire s’attachera à rendre visible et à déconstruire les rapports de pouvoir qui rendent les groupes sociaux opprimés plus vulnérables aux effets de la crise climatique. Dans le prolongement de l’école thématique internationale de janvier 2024 “les sociétés face aux vulnérabilités environnementales” de l’EUR Odyssée, on envisage ici cette vulnérabilité de façon intersectionnelle, c’est-à-dire qu’on la comprend comme le résultat d’une superposition des inégalités qui se retrouvent alors croisées, comme par exemple la race avec le genre et la classe.

 

Comme l’écrit le sociologue Ramzig Keucheyan (2018), “la nature est un champ de bataille” et les inégalités écologiques ne touchent pas tout le monde de la même manière, notamment dans leurs répercussions sur la santé. Il est donc nécessaire d’analyser les raisons qui expliquent la vulnérabilité de certains groupes sociaux et de révéler les effets de la crise environnementale sur les systèmes de pouvoir déjà en place. Dans quelle mesure les inégalités climatiques participent-elles au maintien de systèmes de domination ?  

 

Pour répondre à cette question, il conviendra par exemple d’adopter la perspective d’une “écologie décoloniale” (Ferdinand, 2019), c’est-à-dire de penser l’environnement par le prisme de la décolonisation en tendant vers une émancipation vis-à-vis de la suprématie blanche. L’approche de l’écoféminisme, né il y a cinquante ans en 1974, sous la plume de Françoise d’Eaubonne qu’il paraît opportun de célébrer un demi-siècle plus tard, se focalise elle aussi de près sur les objets genre, race, classe et environnement de ce séminaire et si les instruments de la théorie critique de la race ont pu renforcer dans le champ du droit la réflexion intersectionnelle de l’écoféminisme (Kings 2017), la complexité de ce mouvement invite par ailleurs à prendre du recul et s’interroger sur les manières dont d’autres courants de pensée se saisissent de la question environnementale au croisement avec les différents systèmes de domination.

 

D’autre part, le juriste William Acker parle de “racisme environnemental” lorsqu’il étudie l’environnement insalubre des aires d’accueil prévues pour les gens du voyage en France (2023), comme le fait le sociologue Travis Van Isacker dans son analyse des conditions de vie des réfugiés à Calais (2022). Les géographes Camilla Hawthorne et Katrine McKittrick s’attachent à analyser l’espace par le prisme de la race et du féminisme noir en contribuant au champ critique de la “Black Geography”, une alternative à la géographie traditionnelle qu’elles jugent indifférentes aux inégalités de race ou de genre. La politologue Fatima Ouassak, quant à elle, dans Pour une écologie pirate. Et nous serons libres (2023) pose la question de la crise environnementale dans les quartiers populaires en France, et en particulier chez les femmes descendantes de l’immigration postcoloniale. 

 

Les catastrophes écologiques servent aussi d’inspiration aux écrivains et aux artistes sensibles à la question environnementale et aux inégalités sociales. Ainsi, l’artiste-poète contemporaine fahima ife s’exprime par le mot et les arts visuels afin d’apporter une réflexion inédite et originale sur ces questions en croisant éco-esthétique, éco-poétique, suprématie blanche, hétéronormativité, et patriarcat. Dans le courant littéraire postcolonial qui traite de la dégradation de l’environnement et de ses effets sur les plus vulnérables, des inégalités sociales et du capitalisme néolibéral, de nombreux ouvrages permettent d’incarner ces questions en mots (Butler, 1993 ; Ghosh, 2004 ; Freeman, 2020). 

 

À distance du militantisme associatif, comment et pourquoi les différentes disciplines universitaires envisagent-elles (ou manquent d’envisager) donc ces enjeux de façon critique et scientifique ? Quelles circulations théoriques et pratiques observe-t-on entre les deux milieux ? L’urgence de la crise climatique et la prise de conscience renouvelée des questions de race à l’intersection de diverses formes de système de domination (genre, handicap, classe etc...) requièrent une réflexion approfondie sur ce que ces croisements théoriques et thématiques apportent à la manière de répondre aux grands défis socio-environnementaux contemporains.

 

De la philosophie, à la littérature et aux arts vivants en passant par le droit, les études culturelles, la sociologie et les sciences politiques, quelles sont les pistes de réforme que ces réflexions proposent ? La décroissance ré-envisagée au prisme du marxisme par Stefania Barca (2020) ou Satō Kohei (2022) ou les objectifs de développement durables mis en avant par les Nations Unies (McCowan 2019) offrent-ils de vraies perspectives d’avenir pour les groupes minorisés ?

 

Ce séminaire cherchera donc à dresser un panorama des stratégies sociales, économiques et culturelles proposées par ces différentes approches et s’interrogera sur la manière dont elles sont susceptibles de s’enrichir les unes les autres. Une attention particulière sera portée à la pédagogie et à la médiatisation de ces enjeux et solutions politiques dans un contexte où le développement exponentiel des intelligences artificielles renforce l’urgence d’une prise en compte humaine approfondie d’enjeux susceptibles d’être facilement évacués des débats et des algorithmes (Umoja Noble 2018). 

 

Notre séminaire a également une portée pédagogique, il offrira aux étudiant·es des masters de sciences humaines (master LLCER, info-com, lettres etc....) un point de rencontre interdisciplinaire au titre de leur ECUE de projet professionnalisant et de recherche (séminaire de recherche et colloque). Les étudiant·es participant·es interviendront à tour de rôle pour présenter brièvement un ouvrage de l’intervenant·e de la séance du jour (sur le modèle de la séance introductive) et seront ainsi mis en confiance pour intervenir de manière active dans les discussions. 

Le séminaire GRACE viendra renforcer la dynamique lancée par le séminaire “genre, média, pouvoir” du LIRCES servira d’incubateur pour un projet de publication en 2025 et permettra de tisser un réseau interne de chercheur·es et doctorant·es qui pourra déboucher sur un projet consortium. Il permettra de visibiliser les nouveaux masters de sciences humaines comme le master langues et interculturalité de l’EUR CREATES et de fédérer enseignant·es, chercheur·es et étudiant·es autour de problématiques environnementales et sociales aujourd’hui extrêmement urgentes. Il sera prolongé en 2025 avec un nouveau séminaire qui approfondira un angle abordé dans ce séminaire conçu en 2024 comme une entrée en matière. 

 

 

Bibliographie 

 

ACKER, William, « Aires d’accueil des gens du voyage : un racisme environnemental ? » In Écologies, Hors collection Sciences Humaines, Paris : La Découverte, 341‑48. 25 mai 2023. 

BARCA Stefania, Forces of Reproduction : Notes for a Counter-Hegemonic Anthropocene. Cambridge, United Kingdom ; New York, NY : Cambridge University Press, 2020. 

BUTLER, Octavia E., The Parable of the Sower, Grand Central Publishing, 1993.  

EAUBONNE, Françoise d’. 1974. Le féminisme ou la mort. Paris : P. Horay.  

FERDINAND, Malcolm, Une Ecologie décoloniale : Penser l’écologie depuis le monde caribéen, Paris, Ed. Du Seuil, 2019.   

FREEMAN, John, Tales of Two Planets: Stories of Climate Change and Inequality in a Divided World, Londres : Penguin, 2020. 

GHOSH, Amitav, The Hungry Tide, The Borough Press, 2004.  

KEUCHEYAN, Razmig, La Nature est un champ de bataille : Essai d’écologie politique, Paris : Ed. De la Découverte, 2018. 

KINGS, A. E. « Intersectionality and the Changing Face of Ecofeminism”. Ethics and the Environment 22 : 63‑88, 2017. 

McCOWAN Tristan, Higher Education for and beyond the Sustainable Development Goals. Basingstoke : Palgrave Macmillan, 2019 

NOBLE, Safiya Umoja. Algorithms of oppression : how search engines reinforce racism. New York : New York University Press, 2018. 

OUASSAK, Fatima, Pour une écologie pirate. Et nous serons libres, Paris : Ed. De la Découverte, 2023.  

SAITŌ, Kōhei, Marx in the Anthropocene: Towards the Idea of Degrowth Communism. Cambridge ; New York, NY : Cambridge University Press, 2022. 

Le comité scientifique de GRACE

Emilie SOUYRI, MCF, Études Anglophones, LIRCES UPR 3159

Nora GALLAND, MCF, Études Anglophones, CTELA 6307

Anne DEBRAY, MCF, Études Anglophones, LIRCES UPR 3159

Jean-Luc PRIMON, MCF, Sociologie, URMIS CNRS UMR 8245 - IRD UMR 205

Sandrine MONTIN, MCF, Lettres Modernes, CTELA UPR 6307

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